« Après le Tao vient la Vertu.
Après la Vertu vient la Bonté.
Après la Bonté vient la Justice.
Après la Justice vient le Rite.
Le Rite est l’écorce de la confiance,
mais c’est aussi la source de tous les désordres. »
Lao-Tseu
Une fois que la nature du chemin spirituel est établie pour le marcheur, se pose généralement une série de questions et de difficultés.
1. L’ouverture du champ de conscience.
Dans un premier temps, c’est l’ouverture du champ de conscience qui apparaît progressivement.
Le marcheur se rend compte que sa vision du monde est des phénomènes était (et demeure) orientée, filtrée par ses valeurs inconscientes et ses jugements.
Le monde, qu’il croyait jusqu’à lors percevoir dans sa réalité, se révèle à lui avec une nouvelle profondeur, ou tout du moins un nouveau mystère.
Il se rend compte que sa perception est faussée, par l’habitude, tout d’abord, qui fige et généralise les phénomènes, par ses certitudes, ensuite, qui limitent le champ de ce qui est perçu et orientent même littéralement sa perception.
Cette première étape de l’ouverture à la conscience est généralement déclenchée par un événement marquant, un travail de méditation ou une prise de psychotropes. Si cet ébranlement de la perception, de la conscience ordinaire, est suffisamment profond, une faille durable s’insinue dans le processus mental du chercheur jusque là bien ordonné et un travail de restructuration se fait malgré lui progressivement.
Les valeurs, les croyances, sont peu à peu réexaminées et généralement, à ce stade, le chercheur change ses priorité, redéfinit ses valeurs et s’autorise un nouveau champ de croyance.
Comme instinctivement l’esprit a horreur du vide et le mental de l’incertitude, il va chercher à se construire une nouvelle cosmologie, une nouvelle description du monde. Il y mettra ses nouvelles certitudes, qu’elles soient magiques, mystiques, philosophiques ou spirituelles et les tiendra pour vrai, rejetant souvent ses anciennes croyances.
En vérité, ces nouvelles croyances ou cosmologies sont équivalentes à celles qu’il possédait avant et ne décrivent pas mieux le monde et sa nature ; Elles le considèrent seulement d’un nouveau point de vue.
2. La définition d’un nouvel idéal personnel plus élevé.
La seconde étape est généralement la définition d’un nouvel objectif personnel plus élevé. Alors que, par l’éducation ordinaire, les objectifs que nous nous fixons en tant qu’être humain sont généralement basés sur le faire et l’avoir, le marcheur qui a déjà vécu l’ébranlement de ses perceptions reconnaît petit à petit un mystère et un enjeu bien plus grand pour lui. Une voix intérieure et un nouveau désir viennent au jour : Le développement spirituel apparaît comme un réalité et plus encore, comme nécessaire et inévitable.
A ce stade, alors que les anciens conditionnements continuent encore d’exercer leur influence et alors que la connaissance spirituelle véritable est encore presque inexistante, le chercheur aura tendance à vouloir s’améliorer et progresser. Cette pulsion de progression sans connaissances véritables le ramène souvent à des schémas identiques aux schémas ordinaires, à savoir des objectifs basés sur le faire et sur l’avoir. Du point de vue de la nouvelle cosmologie du chercheur, cela reviendra à pratiquer la méditation, des exercices spirituels ou énergétiques (le faire), afin de développer ses capacités intérieures, mystiques et ses dons spirituels (l’avoir).
Cette étape est également accompagnée d’un désir conscient ou inconscient de recherche de la perfection et s’accompagne malheureusement souvent d’un sentiment de supériorité spirituelle, d’un orgueil qui s’exprime dans toute sa potentialité ; « Je connais et pratique les choses de l’esprit et de la spiritualité, ces choses qui sont plus importantes encore que toutes les considérations ordinaires de ceux qui m’entourent. Je perçois ce qu’ils ne perçoivent pas, j’ai une valeur qu’il n’ont pas ».
L’égo, qui est un fonctionnement acquis depuis la naissance, s’en donne à cœur joie à cette étape du chemin. Le désir insatiable de perfection et de perfectionnement amène souvent à une orgie de textes spirituels, de pratiques mystiques diverses, de stages et de séminaires. Toute occasion est bonne pour parler de spiritualité autour de soi, pour pointer chez les autres ce que nous pensons avoir découvert chez nous, pour, finalement, faire valoir et faire reconnaître nos nouvelles croyances et valeurs.
Cette étape est paradoxale dans ses bénéfices et résultats. Elle permet d’un côté au marcheur de définir la nature du chemin spirituel. Il est en effet enclin à ce moment là à étudier les enseignements de référence en la matière des différents maîtres et des différents courants. Il fait également l’expérience à ce stade de la magie, des synchronicités et de périodes d’états de conscience modifiée. Toutes ces expériences l’encouragent à poursuivre, mû par une énergie d’espoir. Cette énergie d’espoir est généralement sous-tendue, cependant, par les mêmes schémas antérieurs de l’avoir et du faire. Il espère avoir une vie plus heureuse, faire de grandes choses en rapport avec sa nouvelle sagesse ou ses nouvelles capacités, avoir de la reconnaissance pour ce qu’il vit et sait à présent.
Tant que dure cet espoir comme moteur, cette seconde étape ne pourra être franchie. Tant que le désir de perfectionnement, de lui-même ou du monde qui l’entoure subsiste (en tant que moteur), il est impossible au marcheur d’aller plus loin. Il développera bien sûr des talents, des savoirs-faire, en rapport avec ses champs d’activités mystiques ou spirituels mais ressentira bientôt un plafond de verre intérieur qu’il ne pourra pas franchir.
La paix intérieure, qu’il recherche parmi d’autres facultés, lui échappe sans qu’il puisse saisir pourquoi alors qu’il lui semble avoir tant appris et tant travaillé à se perfectionner. Cette paix intérieure devient même parfois moins présente qu’avant qu’il ne commence un « chemin spirituel », tant il ne supporte plus pour lui même le moindre décalage entre sa vision parfaite de ce qu’il devrait être (sans colère, sans peur, éveillé, parfait, etc.) et la réalité quotidienne qui se manifeste à lui en dépit de tous ses efforts.
Ce travail, basé sur la recherche de la perfection ou sur l’acquisition de compétences spirituelles ou mystiques, peut se révéler destructeur si il perdure trop longtemps. Cependant, cette étape permet de développer une nouvelle faculté essentielle pour la poursuite de son évolution intérieure ultérieure : En effet, à ce stade, le marcheur apprend à regarder à l’intérieur de lui-même, à observer attentivement son fonctionnement intérieur. Cette faculté innée et sclérosée chez la plupart des gens, s’épanouit alors peu à peu jusqu’à devenir inconsciente. Petit à petit, le marcheur parvient à voir en lui les émotions les plus subtiles, de la plus faible intensité, qu’il ne voyait pas jusqu’à présent tant que ses considérations se portaient principalement sur l‘extérieur.
De cette faculté commence la connaissance de soi, ou, tout du moins, la conscience de soi.
Malheureusement, tant que la seconde étape n’est pas franchie et que les désirs égotiques de perfection et de perfectionnement sont toujours au premier plan, tant que le marcheur attend encore des résultats pour tous les efforts qu’il fournit, ce regard intérieur ne sera pas capable d’aller voir dans les obscurités du soi, trop en contradictions avec la haute image qu’à l’égo spirituel de lui-même et de sa quête. Ainsi, tous les éléments de personnalité inacceptables et refoulés dans l’inconscient seront inaccessibles au regard intérieur et le marcheur risque de se construire une nouvelle représentation du lui-même plus fausse encore que la précédente se perdant ainsi dans des considérations illusoires de faible valeur.
3. La désillusion.
***
« Dès qu’une pensée te vient, hâtes-toi d’en rire »
Lao-Tseu
***
« Finalement, qu’est-ce que je sais avec certitude ? »
Adya Shanti
***
La dernière étape dont nous parlerons ici (et qui laissera la porte ouverte à tous les accomplissements ultérieurs) est l’étape qui marquera l’entrée sur le chemin spirituel véritable.
Cette étape pourrait s’appeler, le « désespoir ».
Vient un jour où le travail spirituel et mystique touche à l’épuisement. Bien sûr, le marcheur a acquis de nombreuses compétences, de nombreux savoirs. Il maîtrise à présent ce qui lui semble être de grandes vérités spirituelles ou mystique, s’est construit une nouvelle cosmologie et a peut-être même commencé à se réconcilier avec l’idée de sa mort prochaine et inévitable.
Mais l’essentiel est absent.
La perfection semble s’éloigner.
La paix intérieure n’a progressé qu’en apparence.
Un vide intérieur, un crie d’agonie progressif se fait entendre.
La lassitude s’installe,
Puis, le désespoir.
Cette période de transition est peut-être la plus éprouvante dans la vie d’un Homme. Après avoir cru apercevoir les portes du paradis sur terre, après en avoir construit un espoir, une motivation, une raison d’être, le marcheur se rend compte que finalement, profondément, rien n’a changé en lui.
Pire, il prends conscience que rien ne changera jamais.
Cette prise de conscience doit être physique, totale, expérimentale (et non mentale) pour devenir effective et ses effets sont alors littéralement destructeurs.
La nouvelle cosmologie mystique, qui avait remplacée celle de l’éducation, se relève à ses yeux aussi fausse que la première et s’effondre. Une à une, toutes les briques de connaissances et de savoir se déstructurent, s’effacent peu à peu ; Il n’est plus rien qu’il soit possible de savoir avec certitude.
La déstructuration des croyances et des vérités se fait rapidement, en quelques mois, parfois quelques semaines et l’esprit analytique, qui était capable de se représenter dans une structure parfaite tout ce qu’il savait sur le monde, devient petit à petit perplexe, vide et silencieux.
La phrase « Je ne sais pas », qui avait entièrement disparue à la seconde étape du chemin devient omniprésente devant chaque situation et le sentiment de pouvoir contrôler sa vie disparaît.
Ce désespoir spirituel et général est une étape fondamentale ; C’est le début du processus de mort de l’égo (la petite mort). Toutes les prétentions passées, tout l’orgueil, tout les sentiments antérieurs de supériorité se heurtent à l’échec manifeste de tout le travail entreprit. Se succèdent la désillusion, la honte, la tristesse, la colère, le désespoir avec ces deux nouvelles vérités qui s’imposent, implacables, à chaque instant :
Je ne sais pas… Je n’en sais rien.
Rien n’a vraiment changé et rien ne changera… Jamais.
Ces deux vérités sont peut-être deux des piliers fondateurs du chemin spirituel véritable qui commence alors et qui cesse par la même d’être un chemin, puisqu’il n’y a dès lors nul endroit où aller.
La vraie question devient « Comment accepter mon présent et le vivre au mieux ? » et non plus « Comment me perfectionner ou progresser ? ».
Les valeurs, qui jusqu’ici avaient résisté s’effondrent elles aussi peu à peu : « Faut-il être bienveillant ? Dans l’amour ? Sans colère ? Finalement, qu’en sais-je ? » et finissent par s’effacer.
L’espace intérieur grandit alors et l’attention abandonne efficacement le futur pour se tourner vers le présent.
En choisissant dès lors de mieux vivre ce présent qui ne sera jamais meilleur, commence un travail instinctif et efficace dans le quotidien, un travail non-plus basé sur des principes, des valeurs, des connaissances mais sur la présence elle-même, sur la simplicité.
L’humilité qui suit l’humiliation s’installe, l’égo se tient en retrait et petit à petit va pouvoir commencer à disparaître et à s’ effacer. Le regard intérieur va pouvoir commencer à voir les obscurités qui sont en nous et qui y seront toujours. Le marcheur reconnaît en lui toutes les faiblesses, tous les vices, tous les défauts, toutes les forces et toutes les qualités. Il reconnaît le sage mais aussi le fou, le bienfaiteur et le criminel. Reconnaissant en lui tous ces aspects du monde et les acceptant comme sien, il commence à cesser de juger car, quel que soit ce qui se présente, il le reconnaît aussi en lui ; Comment pourrait-il le blâmer ?
De nouveaux phénomènes spontanés apparaissent alors dans son présent. Les points de vue des autres deviennent équivalents aux siens et il n’a plus rien à défendre. Les sentiments et émotions, jusqu’alors perçus comme « négatifs », peuvent s’exprimer librement et déchargent ainsi le marcheur de nombreuses tensions. Le désir de conformité s’estompe peu à peu et nous nous découvrons dans de nouveaux aspects de personnalité inédits : Notre définition intérieure, de nous-même et du monde devient de plus en plus floue.
Enfin et surtout, libéré des espoirs et de la contrainte de perfectionnement ou de réalisation intérieure ou extérieure, notre présent s’installe durablement et nous apprenons petit à petit à l’accepter tel qu’il est voir même à l’apprécier pour ce qu’il est déjà, pour ce que nous sommes déjà.
La vie peut alors continuer, avec ses faire, ses avoirs, ses désirs et ses projets mais l’illusion que quelque chose serait vraiment différent demain a disparue, libérant ainsi notre esprit du passé et du futur pour profiter simplement de chaque expérience du présent et de la vie.
En ce jour, il n’y a plus de « chemin » spirituel car il n’y a plus d’endroit où aller.
D’autres réalisations suivent sans doutes cette troisième étape mais à ce stade l’essentiel de notre folie s’est allégée et c’est sur des bases viables et sereines que peut se poursuivre notre aventure de la vie.
***
« Nous pensons que quelqu’un d’autre a la réponse,
qu’un autre lieu sera plus favorable,
qu’un autre jour, tout ira pour le mieux.
Mais c’est ainsi :
Personne n’a la réponse,
aucun lieu n’est plus propice
et maintenant est le meilleur moment »
Lao-Tseu
***
Camille Forestier
Formateur en Hypnose Spirituelle et Énergétique
N’hésitez pas à partager vos expériences et avis en commentaire sous l’article.
Au plaisir d’échanger avec vous.
0 réponses sur "Trois étapes du marcheur spirituel"